Inspiration


Dans le but noble et clairement désintéressé de libérer les esprits d'un quotidien pesant mais hélas d'autant plus passivement supporté qu'est acceptée l'illusion de son caractère omnipotent, et d'ainsi laisser nonchalamment vagabonder l'imagination qui est Porte de la Liberté avec serrure actionnée par la clé des champs, je me transformerai puisqu'ainsi le veut la Stase en un moderne troubadour dont les éructations même ont pouvoir d'images afin de vous narrer l'Histoire de Georgette et de la Carotte Néfaste.

Je perçois à l'instant, par l'effet attendu d'une volonté pourtant présomptueuse de percer l'opacité de l'Ether, je perçois dis-je l'émission de gémissements mièvres, quoique sincères, signes de la déception de quelques âmes frustres heurtées par les présages funestes qu'elles ont cru pouvoir déceler dans l'intitulé du conte à venir. J'épargnerai donc leur sensibilité en précisant dès maintenant à leur intention que Néfaste est le nom que porte ma carotte, qui par ailleurs répond, si discrètement il est vrai, au prénom de Marie. Marie Néfaste: on a vu pire (et ce n'est pas fini).

Envoi: nous trouvons Marie dans son champs natal, en une de ces belles matinées de printemps qui bruissent des mille cris poussés par autant d'espèces animales dans l'action d'une fornication effrénée (comme en conviennent ceux qui savent, cette occupation saine et recommandable n'est d'ailleurs pas sans contribuer pour une part appréciable aux arômes délicats & subtils qui flattent le fond des narines en cette époque de l'année).

De nouveau l'Ether frémit, car voici maintenant que certains s'offusquent de ce poétique aparté et craignent pour la suite une narration peut-être osée de ce qu'il pourrait advenir dans ce contexte de la rencontre d'une Georgette dans leur esprit jeune & jolie et d'une robuste et saine carotte à la peau douce quoique terreuse, pendant que personne ne regarde (ou pire, si l'innocente grand-mère que l'on pressent non loin est déjà à sa fenêtre, encore ignorante du complot ourdi entre son indigne progéniture et ses faibles artères dans le but abject de très sûrement hâter l'approche de son inévitable trépas). Détrompons ces prudes (je n'oserai pas les qualifier de pervers; il me faudrait les connaître mieux): qu'ils rangent leurs kleenex, je ne torche pas de cette prose-là! D'ailleurs Georgette est une vache, de la race des grosses laitières à l'oeil torve, une infortunée créature d'on ne sait quel dieu dédiée à passer sa vie dans un pré boueux en regardant avec envie tout ce qui bouge plus vite qu'elle, tout en poussant au gré des échos que font naître dans son crâne vide les frémissements aléatoires de son système nerveux des mugissements pitoyables de pauvreté sémantique.

Action: alors qu'en ce matin-là Georgette allait son chemin de ronde coutumier le long des lignes électrifiées qui délimitent par la douleur son domaine d'interaction avec l'Univers, son regard vif et léger (ceci selon les critères bovins usuels; nous dirions: vitreux) tomba sur les formes rondes & colorées de Marie alors toute occupée à respirer l'air frais, à la façon des carottes au printemps. Aussitôt (du moins dans l'échelle des boeufs & vaches; nous dirions: un moment plus tard) l'éducation stricte de Georgette la conduisit à initier un échange mondain d'idées convenues, ainsi qu'il est de bon ton entre gens du même pré. Elle pris donc la parole de sa voix grave et hésitante en expectorant quelques touffes d'herbe à demi digérées qui filèrent tout azimuth renseigner les cieux sur la nature de son régime alimentaire ainsi que sur la permanence fâcheuse en ses poches stomacales de remugles nauséabonds.



Fin
de l'inspiration