On peut dire sans crainte de se tromper que l'espoir, ou le sentiment de promesse, est un obstacle au cheminement spirituel.


Créer ce genre d'espoir constitue l'une des caractéristiques marquantes du matérialisme spirituel. On trouve toutes sortes de promesses, toutes sortes de preuves. On adopte la même approche qu'un vendeur de voitures. Ca ressemble à quelqu'un qui vante les mérites d'un aspirateur et nous apprend à quel point nous pourrions bien nettoyer la maison si nous l'achetions. Si seulement nous achetions cet appareil, notre chambre serait tellement magnifique, totalement exempte de poussière, jusqu'au plus petit brin! Qu'on ait affaire à un vendeur d'aspirateur ou à un guru, on se retrouve avec le même art de la vente. C'est pourquoi l'un et l'autre entrent dans le même sac de matérialistes. Ils nous promettent tant de choses. Ils mettent tant d'espoir dans notre coeur. C'est ainsi qu'ils jouent sur nos points faibles. Ca rend la douleur encore plus compliquée. Nous oublions la douleur complètement et nous nous activons à chercher quelque chose d'autre. Et cela comme tel est douleur. Essayer de supprimer l'incrédulité, nous darder sur la croyance, essayer de nous convaincre que cette approche va marcher (croire que nous persuader nous-même fera que tout fonctionnera): tout ça c'est de la douleur.

C'est ce que nous vivrons si nous n'arrivons pas à comprendre que l'exigence de base pour marcher sur la voie spirituelle, c'est l'inespoir. L'inespoir n'a rien à voir avec le désespoir. Il y a une différence. Le désespoir, c'est de la paresse, un intellect insuffisant. On n'est même pas disposé à chercher la raison du désespoir. C'est un bide total. L'inespoir, en revanche, est très intelligent. On n'arrête pas de chercher. On tourne une page après l'autre en disant: "C'est sans espoir, c'est sans espoir". On reste extrêmement vigoureux, inespérément vigoureux. On cherche encore des lueurs d'espoir, mais chaque fois on finit par se dire: "Ah non ! Beurk !" L'inespoir n'arrête pas; il est très vigoureux, c'est une grande source d'inspiration. Il chatouille l'esprit comme si nous étions sur le point de découvrir quelque chose. Au moment de la découverte, nous disons: "Ah, enfin, j'ai trouvé !... Ah, non. C'est la même rengaine qui rapplique."


L'inespoir renferme un pari et une excitation démesurés. Quand nous cédons, quand nous entrons dans un désespoir profond, d'inespoir en inespoir, juste avant que le désespoir et la paresse nous dominent, c'est alors que nous commençons à acquérir le sens de l'humour, ce qui nous empêche de devenir roi des paresseux et des imbéciles.



Chögyam Trungpa, Jeu d'illusion