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Jai retrouvé lInde... jai retrouvé la chaleur
moite, lodeur de moisi qui flotte un peu partout, le
bruit, la crasse, et les Indiens. Et puis jai
retrouvé les Tibétains, dans le quartier de Majnou Ka
Tilla de Delhi. Comment décrire Majnoutilla, comme
disent les Tibétains ? Ceux qui connaissent
comprendront quil est difficile de décrire cette
zone, sorte de ghetto, à la périphérie de la ville.
Cest une concentration dimmeubles et dhabitations,
construits sans plans, posés là comme au hasard avec
un sens de léconomie de lespace tel quil laisse peu
de place à la circulation. Les immeubles sont si
rapprochés que lon peut se serrer la main de la
fenêtre den face. La rue principale nest quune
ruelle à peine plus large que les autres, qui
dailleurs se rétrécit au bout au point daboutir à un
passage humain. Il y a là toutes les agences de
voyages, hôtels, restaurants, et échoppes pour les
Tibétains de passage. En fait, Majnou Ka Tilla est la
plaque tournante, le lieu de passage obligé pour les
tibétains qui transitent entre lInde et le Népal, ou
entre les différentes routes qui mènent à Dharamshala.
Cest pourquoi on y rencontre toujours des
connaissances. Lorsque je suis arrivée, Nyima ma fait
lénumération de tous ceux que nous connaissions et
qui étaient comme nous en transit à Majnoutilla.
Ce lieu semble immuable. Cest la troisième année que
jy passe et je le retrouve tel quel ; Ce qui me
frappe le plus, dans cette « rue » centrale, cest le
nombre de personnes qui errent sans but apparent, il y
a là toute une population désœuvrée, surtout des
jeunes. On y joue aux cartes pour de largent, on y
traite des « affaires », mot pudique qui englobe tout
commerce, essentiellement celui issu de la contrebande
intense qui sévit entre lInde et le Népal. Et les
réfugiés tibétains excellent dans ce genre dexercice
dangereux. Mais comment leur faire la morale ? Faute
de moyens, ils vont vers largent facile. Cest ce que
dit Nyima qui essaie de me convaincre, qui mexpose
comment son père pourrait trouver un revenu grāce à
cela, qui mexpose aussi ses doutes, ses peurs...
acculés au désespoir, ils ont le choix entre ce
commerce douteux ou un nouvel exil vers lOccident
idéalisé.
De retour ici, après un séjour en terre « civilisée »,
je mesure davantage lécart dappréciation de la vie.
Nous qui avons le superflu nen tirons pas le bonheur
pour autant : ceux qui en sont satisfaits se noient
dans des histoires de possessions, dimpôts à payer,
de nouvelle voiture... les autres essaient de fuir
pour se retrouver prêchant le détachement. Mais voilà,
il est difficile de convaincre ceux qui nont jamais
rien eu de se détacher de ce quils nont pas ! Donc,
je me garde bien de tout jugement moral, je me
contente de faire miroiter à Nyima ce quil pourra
retirer de la réussite de ses études, jessaie de
réveiller en lui les principes bouddhistes dans
lesquels il a été élevé, et quil a normalement
respectés en tant que moine. Mais ici, tous, et
surtout les jeunes, sont obnubilés par une seule chose: comment gagner de largent ? Je crois que cela passe
avant la libération du Tibet ! je me dis plus que
jamais que le seul moyen possible réside dans laide
concrète que lon peut leur apporter. Si le projet de
restaurant/guesthouse pour la famille de Nyima se
réalise, il sera, je lespère, une preuve de cela, il
pourra devenir lexemple pour dautres. Mais cela
prouve avant tout quil y a urgence...
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